Ventes complexes : faut-il un savoir-faire de questionnement spécifique ?

L'art du questionnement pour les plus audacieux ou les méthodes de questionnement pour ceux qui se réfèrent à des démarches de vente complètes et structurées (exemple challenger sales, SPIN, PSS3) occupent une partie importante de la littérature consacrée à la vente.

Qu'en est-il du terrain des complexes de ventes ? Est-il légitime de pointer un contexte spécifique qui serait susceptible de générer un savoir-faire de questionnement particulier ? et si oui lequel ?  

C'est à ces questions que nous vous proposons d'apporter l'éclairage de notre réflexion et pratique basée sur nos expériences clients et chantiers d'accompagnement et de formation de leurs équipes commerciales.

Ventes complexes : un contexte aux interactions multiples porteur d'incertitudes

Un contexte de vente complexe est par définition un contexte ou de multiples acteurs participent aux étapes du processus de consultation puis de décision. Un premier challenge pour le commercial est d'abord de bien les identifiant, ce qui n'est toujours pas donné d'emblée et de comprendre leurs domaines de responsabilité.

Une seconde va être de découvrir leurs besoins (techniques, fonctionnels, organisationnels, personnels) et au-delà de cela, de comprendre autant que possible les jeux qui sont établis entre eux tels que définis par Michel Crozier au sens stratégique.
(cf « L'acteur et le système » ou l'auteur explique que les organisations ne sont pas un espace ou les décisions sont prises sous le seul angle de la rationalité mais le terrain des jeux de pouvoir des acteurs, la stratégie visant soit à préserver ou élargir les zones de pouvoir de chacun en fonction des opportunités portées par les circonstances). 

L'auteur ajoute que le pouvoir « est la capacité à décider de l'incertitude d'autrui ». Vu sous cet angle, qu'il s'agisse de relations entre acteurs à l'intérieur du système client ou de relation avec l'extérieur, il n'est pas abusif de poser que le commercial va être confronté à un certain niveau d' incertitude.


L'accès ou non à certains acteurs, la compréhension de leur poids respectifs et influences à l'intérieur du système, la lecture du « commentaire cela se passe entre eux ? », le niveau de jeu politique global dans les décisions au sein de l'organisation en offre de fréquents témoignages.

Tout ceci fait qu'il nous paraît utile de mettre en place dans sa boite à outil un jeu de questionnement spécifique à cette complexité, susceptible de nous aider à voir plus clair et réduire le degré d'incertitude. Ce premier outil est celui des questions circulaires.    

Les questions circulaires pour intégrer les besoins et points de vue des interlocuteurs non rencontrés et / ou non accessibles

Techniquement, une question circulaire consiste à poser à une personne une question sur ce qu'il pense être le point de vue de quelqu'un d'autre.

Ainsi la formulation pourrait être par exemple, « Mr Le Directeur informatique, quel est le point qui à ce moment même, vous semblez comme le plus important pour votre Directeur général dans ce projet ? »

La question circulaire présente une double utilité :

-    Elle permet au niveau du contenu de récolter des informations importantes concernant les positions d'acteurs clés réussissant l'accès est parfois difficile. (ici le DG)

-        Au niveau du processus elle permet d'avoir des indices sur la qualité des relations entre les acteurs en question (selon que la réponse est élaborée et riche ou au contraire pauvre et lapidaire) quand ce n'est pas des commentaires de la personne questionnée sur la nature de leurs relations.
(« vous savez c'est difficile de savoir ce qu'il pense vraiment, c'est quelqu'un qui se livre peu », ou au contraire « On est en phase et bien alignés, cela se passe vraiment bien entre nous ») 

De par notre expérience, ce type de question est d'une grande utilité, efficacité commerciale et apprécié des commerciaux, notamment pour éclairer les zones d'ombre ou l'accès à une partie des interlocuteurs restée masquée.  

La question stratégique pour « faire mouche » avec les décideurs

A l'inverse, il y'a des situations ou l'accès « au décideur » a été possible. Il y a alors un espace de temps souvent réduit ou il faut savoir aller avec efficacité à l'essentiel. Pour préparer et entraîner au mieux les commerciaux en toute circonstance, quel que soit le contexte et le décideur, nous avons commencé à envisager, expérimenté puis formalisé  la « question qui fait mouche ».

Pour cette raison, nous lui avons donné le nom de « question stratégique ».

Stratégique car il n'y en a qu'une et pas cinquante.

Stratégique car elle vise ce qui est essentiel pour votre client et donc aussi pour vous.

Cette question stratégique à destination des décideurs nécessite une « mini scénarisation » en 2 phrases courtes d'introduction qui vont permettre d'en libérer toute la puissance.

«  Imaginez Mr le président que vous avez décidé de nous retenir pour ce projet et que nous soyons un après sa mise en œuvre. »

« Vous-même, votre comité de direction et l'ensemble des participants concernés sont tout à fait satisfaits des résultats »   

« Pouvez-vous me dire ce que vous observez de différent entre cette situation et celle d'aujourd'hui ? »

Cette technique car c'en est une, permet d'aller au plus près de ce que j'appellerai « l'authenticité des besoins », dit le rationnel, l'émotionnel et la projection dans la réussite. C'est une technique que les coachs connaissent bien sous l'appellation « état présent/état souhaité » qui fait appel à différents mécanismes complémentaires qui permettent d'avoir un impact au-delà de la question simple posée si celle-ci l'avait été directement.  

« Vous avez décidé de nous retenir », on allège la situation du choix, des difficultés éventuelles et de la responsabilité de la décision.

« Nous sommes un après la mise en œuvre », sur prend du champ et du recul par rapport au présent.

« Vous-même, votre comité de direction et l'ensemble des participants concernés sont tout à fait satisfaits des résultats », non vous avez pris la bonne décision (message implicite), la référence aux résultats favorables à la mise en état de la ressource de mon interlocuteur. (cf état ressource versus état limitant de la PNL) 

Très souvent nous obtenons les commentaires et réponses suivantes, « elle n'est pas facile votre question…mais intéressante…laissez-moi y réfléchir un peu… » puis viennent les 2 ou 3 idées clés déjà discutées avec les collaborateurs mais rédigées avec le vocabulaire et les adjectifs du président (ce qui est déjà en soit intéressant) puis immanquablement ce qui n'a jamais encore été dit et partagé et qui s'avère être le point sur lequel se joue l'attente spécifique, donc différenciante du décideur ultime .    

La capacité à donner envie de dire, de façon intime et exclusive, par le décideur, ce qui ne sera pas dit aux concurrents est selon nous l'un des points importants de valeur ajoutée et de savoir-faire de vente complexe.

Après les questions circulaires et stratégiques qui vont déjà couvrir un large spectre pour se muscler le visage à la complexité, il y a un dernier type de questions intéressantes à poser, ce sont les questions sans réponse.

Les « questions sans réponse » pour apprécier la qualité de la relation et les espaces potentiels de co-élaboration

Comme leur nom l'indique, c'est la réponse ou plutôt l'absence de réponse qui fait apparaître cette catégorie plutôt que l'intention initiale de leur auteur. Pourquoi les questions sans réponse sont-elles intéressantes ?

En nous appuyant sur les travaux de Françoise Kourilsky (« Du au plaisir de changer » Dunod), « ce qui est le plus subtil en matière de communication est toujours le plus essentiel ».

De la subtilité à l'absence de réponse, je franchis tout à fait le pas pour penser que l'absence de réponse à une question est souvent un signe de la forte sensibilité du sujet posé. Cela montre « que c'est bien là que cela se joue », ce qui nous renvoie alors à l'essentiel précédent.

En cela, les « questions sans réponse » sont donc intéressantes au sens où elles permettent d'identifier que nous avons probablement mis le doigt sur quelque chose d'essentiel.

 

Il y'a enfin un terrain plus simple ou l'absence de réponse est simplement le signe d'un impensé sur lequel une réflexion et une construction commune vont pouvoir prendre place. Là aussi, la non réponse devient intéressante et ouvre sur un potentiel à exploiter. 

 

Pour conclure je rappellerai cette devise de Sir Winston Churchill « Il n'y a pas de question indiscrète, seules les réponses le sont ».

Fabrice Lézeau

Dirigeant du cabinet de coaching et formation INTERNESS Consulting

Coach accrédité Titulaire SF Coach, Executive MBA & Conférencier externe ESSEC

Concepteur du « leadership collaboratif », auteur de « Ventes complexes : les chemins cachés de la performance » Editions EMS

Ventes complexes : faut-il un savoir-faire de questionnement spécifique ?